La maison des reflets

roman de Camille BRISSOT

Tout se termine un jour. C'est ainsi.

Syros, 2017, 344 p.
Syros, 2017, 344 p.

Depuis 2022, les Maisons de départ ressuscitent les morts grâce à des reflets en quatre dimensions qui reproduisent à la perfection le physique, le caractère, et le petit je ne sais quoi qui appartient à chacun.

 

Les visiteurs affluent dans les salons et le parc du manoir Edelweiss, la plus célèbre des Maisons de départ, pour passer du temps avec ceux qu'ils aiment.

 

Daniel, 15 ans, a grandi entre ces murs, ses meilleurs amis sont des reflets. Jusqu'à ce qu'il rencontre Violette, une fille imprévisible et lumineuse... Bien vivante.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

"L'île des morts" de Böcklin, héritage de mon grand-père et unique élément de décoration de l'atelier." (p.14)
"L'île des morts" de Böcklin, héritage de mon grand-père et unique élément de décoration de l'atelier." (p.14)

Un roman sur le deuil ou comment accepter la perte d'un être cher...

C'est dans un drôle de monde que vit Daniel : il n'a jamais quitté la maison de départ créée par grand-père Edelweiss et repris par son père Petro. Il a des cours à domicile dispensés par sa gouvernante Mme Elia et ses meilleurs amis sont des "reflets", des clones virtuels de personnes décédées... Sa mère en fait d'ailleurs partie... tout comme son grand-père qui continue à veiller au bon fonctionnement des lieux via une intelligence artificielle (la Ruche), accueillant les nombreux visiteurs venus "converser et rire avec des morts". Son père passe son temps dans son atelier à concevoir ces fameux reflets qui reproduisent l'apparence et "les détails qui constituent l'essence d'une personne". Ainsi "la Maison est un monde en soi", "un creuset d'émotions, un lieu où s'entrecroisent de multiples formes de souffrance" et Mme Elia, qui ne semble pas trouver tout cela très sain, encourage Daniel à en sortir.

 

C'est à la fête foraine que l'adolescent rencontre Violette : ses parents tiennent le Palais des Glaces. Violette a une sœur jumelle, Esther, aussi sombre qu'elle est lumineuse ("Comment peuvent-elles être aussi différentes et semblables à la fois ?"): les deux jeunes filles sont comme des "miroirs troubles". La journée passée avec Violette va déclencher chez Daniel une lente transformation ("J'ai l'impression de changer"), une évolution de sa façon de percevoir les choses : "Mon monde est étriqué". Il se met à analyser sa (non)relation avec son père, avec sa gouvernante, ses sentiments naissants pour Violette l'insaisissable, son amitié pour des reflets qui n'évoluent plus alors que lui grandit, échange avec une journaliste venue réaliser un reportage sur la Maison Edelweiss qui lui apporte un regard neuf et extérieur. L'ambiance est particulière, à la fois triste et onirique, futuriste et hors du temps ("J'ai l'impression d'être dans un monde parallèle."). Daniel est un personnage attachant, sensible, qui ne comprend pas cette cérémonie de "la Dernière Nuit" au cours de laquelle le reflet s'éteint à jamais : comment peut-on "accepter de laisser partir un être cher" ?

 

Voilà bien la question essentielle du roman : "Les reflets doivent aider à accepter la mort d'un proche, pas à oublier le décès." L'intrigue fait référence aux nombreux mythes et croyances à travers le monde concernant la mort, à la fois comme "passage" (voir le tableau de Böcklin représentant Charon et sa barque) et comme fait irrévocable (la légende d'Orphée et Eurydice). Une réalité que Daniel a bien du mal à entendre... Tous ces reflets, aussi réalistes soit-ils, ne sont qu'illusion... "Un fantôme. Un mirage."

La fin est assez prévisible mais les révélations de Mme Elia constituent de belles surprises. Surtout, elles permettront, ajoutées au travail de réflexion amorcé par le héros, "de me rebâtir" maintenant qu'il se sent "prêt à accueillir la tristesse"...

 

Patricia Deschamps, août 2018


 

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