La fille d'avril

de Annelise HEURTIER

- Mon père dit que les filles ne sont pas faites pour ce genre de sport. Si tu cours trop longtemps, des poils vont te pousser partout sur le corps. Comme un homme.

Casterman, 2018, 281 p.
Casterman, 2018, 281 p.

Comme pour la plupart des jeunes filles dans les années 1960, l'avenir de Catherine est tout tracé : se marier, avoir des enfants, puis... s'en occuper le plus clair de son temps.

 

Un jour, elle est contrainte de rentrer du collège en courant. C'est une révélation : quel sentiment de force, de liberté ! Mais courir, surtout pour une femme, est une chose alors impensable.

 

Pourtant Catherine s'interroge, rêve d'une vie différente, s'entête... Jusqu'où sa détermination la mènera-t-elle ?

(4e de couverture)

Mon avis :

Que de changements, pour nous les femmes, depuis les années 1960 !

Adolescente en 1966, Catherine raconte à sa petite-fille Izia, en cet après-midi de juin 2018, ce qu'était son quotidien à l'époque, et ses propos font écho à ce que ma propre mère a pu me raconter (ainsi qu'à mes enfants !)... Que de progrès social et quelle évolution des mentalités en une génération ! Ayant "l'habitude d'être considérées comme inférieures", les filles, très tôt, se voient incomber toutes les tâches domestiques. Pas de machine à laver, lave-vaisselle ou autre appareil ménager, alors la journée est "organisée de manière quasi militaire". Je crois que ce qui m'a le plus marqué, c'est la fabrication maison du beurre dans un bocal à partir de la crème du lait ("secouer vigoureusement" !) : compter pas moins de 19 minutes! En cette veille de mai 68, on parle de plus en plus de pantalon, de serviettes hygiéniques jetables, de pilule, d'argent de poche, mais ce sont des revendications encore bien timides...

 

Dès lors on comprend mieux que dans ce contexte ("comment nous étions élevées à l'époque"), Catherine craigne d'exprimer son désir de faire de la course ("Jamais je n'avais vu la moindre femme courir dans le nouveau stade")... Les préjugés sont légions et les méconnaissances telles qu'elles en deviennent ridicules : "des poils vont te pousser partout", "ton utérus va se décrocher" !.. Si à 15 ans la jeune fille a la chance, grâce à une bourse, de continuer d'aller à l'école (privée, unisexe, tenue par des bonnes sœurs...), elle n'en est pas moins coupée du reste du monde dans son petit village et surtout sa famille modeste qui ne possède ni télévision, ni radio, ni journaux pour s'informer : "Sois jeune et tais-toi. Et quand on était une fille c'était encore pire".

"Par contre, pour Salut les copains, c'est non. Je ne veux pas d'une dévergondée dans cette maison." (p.88)
"Par contre, pour Salut les copains, c'est non. Je ne veux pas d'une dévergondée dans cette maison." (p.88)

Heureusement autour d'elle, plusieurs personnes vont l'aider à sortir de cette "société sclérosée" aux "carcans rigides". Cela commence avec son amie Suzanne qui, friande de magazines (Mademoiselle Âge Tendre) et émissions radiophoniques (comme Salut les copains), incarne la "liberté d'esprit". Et puis il y a Daniel, l'étudiant parisien appartenant au Comité d'action lycéen de la Sorbonne, qui partage avec elles les idées véhiculées par les tracts qu'il distribue. Enfin, Catherine a sous les yeux au quotidien l'exemple d'une femme qui va peu à peu s'émanciper : Mme Pichenaud, qui tient une quincaillerie avec son mari, lit Beauvoir et a décidé de passer son permis de conduire ("Elle osait").

 

Ainsi l'adolescente finit par s'affirmer : "J'étais une fille et je ne voulais plus que cela m'enferme", assumant son plaisir de courir afin de "vivre dans une société dans laquelle il serait permis d'être qui on veut, d'être soi", malgré les réticences de son entourage et les interdits existants. Car ce que l'on recherche avant tout dans la lutte contre les inégalités, c'est "d'avoir le choix".

Patricia Deschamps, février 2019

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