Certains bleus font beaucoup moins mal que l'indifférence.
Novembre 1944. Jeff, treize ans, porte sur la lèvre un petit bec-de-lièvre que tout le monde nomme "la cicatrice". Une infirmité dont il ne connaît pas la cause et qui lui vaut moqueries et méchancetés de toutes sortes.
Parce qu'il ne sait s'en défendre, il intériorise toute cette douleur, toutes ces blessures morales répétées. A cet âge si sensible, s'enfermant peu à peu, il souffre et fait souffrir ceux qui l'aiment sans réserve...
(4e de couverture)
Mon avis :
Mes collègues de français ont fait étudier ce livre pendant des années et j'étais curieuse de le découvrir. C'est vrai que la situation du jeune Jeff, atteint d'un bec-de-lièvre, est poignante : celui-ci se retrouve rejeté, méprisé, proscrit, uniquement à cause de sa "Grosse-lèvre" comme le surnomme les autres élèves. Malgré ses efforts pour s'intégrer, il se sent "totalement isolé dans cette classe où l'on m'ignorait, comme si j'eusse été absent". Deux personnes vont le sortir de sa solitude imposée. Tout d'abord M. Sandt, vieux philatéliste allemand avec qui il partage la passion des timbres : "En ce temps de guerre, sa nationalité était, pour lui, un peu comme ma cicatrice". Puis son camarade Willy, aux "grandes oreilles décollées" mais malgré tout populaire, philatéliste également, qui "avait sa "cicatrice", mais la sienne ne se voyait pas", en l'occurrence son père décédé. "La bonté de Willy" (ou bien sa pitié ?) enchante Jeff qui non seulement s'est trouvé un ami, et voit aussi les moqueries s'apaiser.
J'avoue avoir un peu décroché dans la seconde partie de l'histoire. Jeff se rend en effet coupable d'un acte répréhensible envers son camarade Willy que je ne m'explique pas. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Quelle était sa motivation ? Que s'est-il passé dans sa tête ? D'autant plus que cette réaction incompréhensible lui coûte la seule amitié qu'il avait... A partir de cet épisode incohérent, Jeff s'enfonce dans la culpabilité et le mensonge (il s'évertue à nier), ressassant et déprimant dans son coin, ce qui rend le récit un peu répétitif et longuet. A l'école les humiliations reprennent et avec elles, l'exclusion et la solitude. A la maison, ce sont les parents (bien que "maman écoutait toujours inlassablement") et surtout le petit frère Bubby qui font les frais de la mauvaise humeur ("le dégoût vague de déceptions accumulées") et même l'agressivité de Jeff ("ce qui me rend méchant, c'est le dégoût qu'on a de soi-même")... jusqu'au drame final. Dès lors, il faudra à l'adolescent "vivre avec moi-même"... Une réflexion intéressante, cependant il est dommage que la conclusion, un brin hâtive, ne permette pas de l'approfondir.
Patricia Deschamps, mars 2019