"Je ne sais pas ce qui fait le plus peur, que Maman risque de mourir ou que Papa pleure comme ça."
1980, Portland, Oregon.
Jewel ne comprend pas. Où est passée Maman ? Devra-t-elle rester avec Papa, maintenant ? Cette perspective lui fait peur. Mais il ne faut pas qu'Esther le sente. C'est sa petite sœur, elle doit la protéger. En fait, Maman est à l'hôpital psychiatrique. Parce que Papa lui fait du mal. Parce que Papa les terrorise...
Mon avis :
L'histoire terrible d'un foyer subissant la violence paternelle.
Le récit alterne judicieusement entre le point de vue de la mère internée, Grace, et de sa fille aînée Jewel, âgée de sept ans : on a ainsi le ressenti de l'adulte et de l'enfant, de celle qui est "dehors" et de celle qui est restée auprès du père avec sa petite sœur. On apprend rapidement que Grace est "mariée à un monstre" qui lui fait subir insultes et coups... et que celui-ci s'en prend également à Jewel ("Il n'y a que moi et maman qu'il tape"). Officiellement, William est un notaire respectable qui "fait bonne figure devant les gens" et "réserve sa violence et sa haine pour le cercle clos de la famille". Honteuse, Grace n'ose pas en parler ("- Qu'est-ce que c'est, ce bleu ? - Je suis tombée..."). Là voilà donc, l'esprit embrumé par les médicaments, au milieu des malades mentaux qui "offrent un spectacle sordide", tandis que Jewel fait de son mieux pour préserver Esther.
Plus les années passent, plus Grace se désintègre, obligée de renier ce qu'elle est, au point de n'être plus que l'ombre d'elle-même : autrefois femme sportive, active et instruite, "je m'étiole d'inaction lorsque je ne suis pas assommée par les médicaments" à l'hôpital, et continue d'être la victime de "l'abominable pouvoir du tyran" à la maison. L'incompétence du personnel médical est révoltant : personne ne cherche à comprendre, et lorsque, enfin, Grace trouve le courage de "raconter toutes ces abominations" au psychologue, il ne fait rien ! Il y a de quoi se sentir seule et impuissante, et même profondément désespérée... comme si l'hôpital psychiatrique faisait "naître les troubles autant qu'il prétend les guérir"... Au bout du compte, ce n'est plus qu'une femme détruite.
Jewel a plus d'une fois essayé de parler avec sa mère mais elle est "si secrète" ! Avec le temps, l'adolescente est devenue blasée ("J'ai l'impression qu'à 15 ans, je sais tout ce qu'il y a à savoir du monde."). Son père ne lui fait plus peur, elle ose lui tenir tête et ne ressent plus que du mépris envers lui. Une "hargne" qui s'étend malheureusement à toute la gente masculine... Un homme, cependant, son entraîneur de boxe, l'aidera, à sa manière, à surpasser la situation. Car malgré tout, la reconstruction, bien que lente, est possible...
Un roman à faire connaître et étudier, un sujet à évoquer et débattre, selon le propre souhait de l'auteur qui l'a "vécu de l'intérieur", afin de lutter contre la violence faite aux femmes.
Patricia Deschamps, avril 2018