Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent.
Le docteur Parpalaid est venu à la gare chercher son successeur, Knock, qui lui a racheté sa clientèle du petit village de Saint-Maurice. Les pannes successives de la voiture leur donnent le temps d'avoir une longue conversation.
Knock comprend qu'il a fait une mauvaise affaire : le cabinet médical végète et la clientèle est quasi nulle. Il parie cependant qu'il arrivera en trois mois à retourner la situation grâce à une mystérieuse "méthode médicale entièrement neuve"...
Mon avis :
Un canular qui fait rire de la crédulité humaine et réfléchir sur la place de la médecine dans notre société.
Représentée pour la première fois en 1923 avec Louis Jouvet à la mise en scène et dans le rôle principal, cette comédie relativement courte (trois actes) reste facile à lire malgré quelques mots de vocabulaire datés, et surtout très drôle. Les dialogues sont rythmés et expressifs, et les scènes s'enchaînent vite.
Dans le premier acte (qui ne comporte qu'une seule longue scène d'exposition), Parpalaid, vantant les mérites du poste qu'il quitte, apparaît d'emblée comme un beau parleur. Plus la conversation avance, plus l'entourloupe émerge derrière les belles paroles : au village, "il n'y a aucune occasion de dépense, pas une seule distraction coûteuse", "Les gens d'ici n'auraient pas plus l'idée d'aller chez le médecin pour un rhumatisme, que vous n'iriez chez le curé pour faire pleuvoir", les rares patients paient la consultation "à la Saint-Michel" (comprenez "à la Saint-Glinglin !) et "d'ailleurs, les gens viennent presque toujours pour une seule consultation ("- Quels clients réguliers ?")... En parallèle, la voiture en sale état avec laquelle se bat le chauffeur se révèle le symbole parfait de cette situation qui semblerait catastrophique si elle n'était présentée de manière si drôle.
Cependant Knock, au départ plutôt discret, va vite dévoiler sa personnalité. Quand il dit : "Depuis mon enfance, j'ai toujours lu avec passion les annonces médicales ainsi que les modes d'emploi que je trouvais enroulés autour des boîtes de pilule", on pressent déjà l'imposteur ! Fait confirmé lorsqu'il annonce avoir servi de médecin sur un bateau où "le grade de docteur n'était pas exigé" ! Par contre c'est la première chose qu'il réclame en arrivant au village : "Appelez-moi docteur" ! Et cet escroc va rapidement mettre en place sa fameuse "méthode"...
Il commence par s'adjoindre la complicité des habitants phares de Saint-Maurice, à savoir le tambour (pour les annonces publiques), l'instituteur (pour la diffusion du pseudo savoir médical) et le pharmacien (pour le commerce des médicaments). Oscillant entre le dénigrement de son prédécesseur, l'intérêt à donner son "adhésion" au nouvel arrivant et la flatterie ("Vous possédez ici une autorité morale et une influence personnelle peu communes"), il n'a aucun mal à les convaincre de le suivre dans son entreprise, faisant preuve d'une capacité évidente à manipuler les gens.
L'objectif est double : d'une part, convaincre qu'il n'existe "que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide" (!), d'autre part à extorquer de l'argent à ceux qui "vivent de leurs rentes ou du revenu de leurs domaines". Lors des consultations farfelues du deuxième acte ("Ça vous chatouille ou ça vous gratouille ?"), on regarde, amusés, Knock instiller la peur de la maladie chez des individus par ailleurs bien portants tout en les interrogeant peu discrètement sur leur situation financière. Baratinant les patients avec du pseudo vocabulaire scientifique, il les convainc si facilement que leur crédulité ne peut que faire sourire. Malgré tout, Knock peut aussi sembler antipathique, véhiculant une image dévalorisante de la médecine à la manière de Molière dans Le Médecin malgré lui, par exemple. Car on est bien dans une farce (moderne).
Et comme chez Molière, le rire cache la satire. En développant "l'esprit médical de la population" avec "pas un scrupule", en faisant passer l'ancien véritable médecin pour un charlatan ("Je ne savais pas qu'il y avait eu un médecin ici avant le docteur Knock"), c'est bien un sentiment de puissance, de domination, que dégage l'imposteur : "Songez que, pour tout ce monde, leur premier office est de rappeler mes prescriptions, qu'elles sont la voix de mes ordonnances." Désormais, "l'intérêt du malade est subordonné à l'intérêt du médecin" et Knock le (bon) comédien règne en maître sur l'empire de Saint-Maurice, proposant par ailleurs une médecine à plusieurs vitesses très contestable, les soins étant proposés en fonction des revenus de ses "clients" : "S'ils veulent s'offrir le luxe d'être malades, ils auraient tort de se gêner"... Cependant lorsqu'on se rend compte que le professionnel lui-même se fait avoir, on ne peut que refermer le livre en riant encore !
Patricia Deschamps, mars 2018