A quoi cela sert-il d'être enfermés dans des collèges et des écoles à apprendre le latin et la grammaire quand nos hommes vont se faire tuer dans les tranchées ? A quoi cela sert-il d'étudier quand toutes nos vies ne sont plus qu'une longue souffrance ?
Geneviève a 14 ans en 1914. Fille de médecin, elle vit à Paris avec sa famille. Lorsque la guerre éclate, elle est en vacances à Houlgate avec sa mère, son petit frère Jules, leur bonne et leur cuisinière.
Ses frères aînés sont rapidement mobilisés tandis que son père est réquisitionné pour soigner les blessés. Alors, même si Geneviève et Jules sont plus en sécurité à Houlgate (où ils s'ennuient néanmoins), ils demandent à revenir sur Paris où ils pourront se rendre davantage utiles.
Ainsi, dans son cahier, semaine après semaine, la jeune fille décrit la vie des gens restés à l'arrière, confiant ses angoisses et ses peines alors qu'elle se dévoue, aux côtés de sa mère, à des actions d'aide aux soldats.
Mon avis :
Un journal qui brasse la Grande Guerre dans son ensemble et en donne une vision globale. Geneviève y raconte les événements de son point de vue d'adolescente, à commencer par tous les changements que la guerre entraîne progressivement : les familles éclatées, l'exode au fur et à mesure que le front se rapproche, les magasins et lieux de spectacles qui ferment, les bâtiments transformés en hôpitaux, le rationnement (en charbon, en sucre, en viande)... A l'arrière, l'entraide se met en place tandis que l'on s'angoisse pour ceux qui sont partis combattre. Les femmes s'organisent pour soutenir les soldats, confectionnant des colis à partir de tout ce qu'elles s'évertuent à récupérer et à confectionner. La mère de Geneviève est engagée dans plusieurs associations (l'Union des Femmes de France notamment) et la jeune fille aide comme elle peut. Livrées à elles-mêmes, les femmes prennent les postes des hommes, dans les usines, les tramways.
Grâce aux rares journaux et aux courriers, elles suivent l'actualité. Les nouvelles armes allemandes ("qui lancent du feu" ou "des gaz qui brûlent la figure"), les grandes batailles (Marne, Verdun, le Chemin des Dames) mais aussi la révolution russe, les bombardements des zeppelins, le torpillage du Lusitania : tout est mentionné même si peu approfondi. 1916 marque un réel tournant dans le moral de tous. La guerre est bien installée, terrible, les morts s'accumulent dans les familles. Certains passages sont touchants, par exemple lorsque André, le frère de Geneviève, obtient sa première permission mais se sent "comme un étranger au milieu de vous". Ou encore quand la classe, qui parraine un poilu, reçoit une lettre de son filleul devenu aveugle à cause d'un éclat d'obus. Le père de Geneviève, chirurgien, évoque d'ailleurs ses recherches pour soigner ces Gueules cassées. La prise en charge des blessés se fait de manière plus structurée - grâce, entre autres, aux "petites curies" de Marie - mais reste frustrante.
C'est à cette période que Geneviève envisage une formation d'infirmière, maintenant qu'elle a l'âge requis : "J'ai envie de soigner, de soulager les blessés, de servir enfin à autre chose qu'à tricoter des chaussettes et des cache-nez !". Nous sommes déjà dans les trente dernières pages, le titre du livre est donc bien trompeur... Cependant cette expérience sera déterminante pour l'adolescente : non seulement elle a le sentiment que "ma vie est utile, enfin", mais en côtoyant ceux qui sont directement touchés par le conflit, elle mesure pleinement l'ampleur de ses conséquences ("La plupart sont brisés"). Issue d'une famille bourgeoise, Geneviève avait en effet jusque là été plus ou moins épargnée, même si, comme tout le monde, elle s'est maintes fois demandé : "Mon Dieu, cette guerre ne finira-t-elle donc jamais?".
Ainsi, cette lecture très complète (un dossier en fin d'ouvrage revient sur les dates importantes, complétées par un résumé) est idéale pour une première approche de la guerre mais risque de frustrer les lecteurs avertis.
Patricia Deschamps, octobre 2017