Hercule Poirot quitte la scène

roman d'Agatha CHRISTIE

 

Comme ces maharadjah qui exigeaient que leur femme périt sur leur bûcher funèbre afin que rien ne leur survécût de ce qu'ils avaient aimés, Agatha Christie, disparue en janvier 1976, a tué dans son dernier roman le détective qui l'avait rendue célèbre. Hercule Poirot est revenu, pour y mourir, dans la maison de Styles où nous l'avions vu apparaître pour la première fois. Fatigué, usé par la maladie et une vie trop bien remplie, il se refusera néanmoins à quitter la scène sans avoir accompli une ultime mission: démasquer son dernier assassin pour rendre le sourire à une jeune fille.

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Après avoir relu La mystérieuse affaire de Styles où Hercule Poirot fait sa première apparition, il était logique à mes yeux de découvrir ensuite son ultime enquête. Le contraste est saisissant. Perclus d'arthrite, Hercule Poirot ne se déplace plus qu'en fauteuil roulant ("Je ne suis plus qu'une ruine"). Ce retour à Style Court, des années après leur première affaire, est l'occasion pour Hastings d'une réflexion nostalgique sur "la fuite du temps": il n'y a autour de lui que "des têtes grisonnantes, des cœurs mélancoliques remplis d'amertume et de désillusion". Cependant le sentiment ne dure pas, Hastings se rendant compte que "mes regrets ne portaient en réalité que sur le passé pour l'amour du passé et non pas sur les événements eux-mêmes". On croit souvent à tort que c'était mieux avant ("Je crois que je me suis laissé bercer par une fausse sentimentalité").

 

Parmi les pensionnaires se trouve sa fille Judith. Cette dimension familiale originale ouvre le débat sur les relations parents-enfants: Hastings ne peut s'empêcher de s'inquiéter pour elle, notamment au sujet de ce séducteur d'Allerton dont elle semble entichée. Mais du haut de ses bientôt 21 ans, Judith est furieuse de cette "intrusion stupide" de son père! C'est une jeune femme au fort caractère et elle va se trouver mêlée à une intéressante réflexion sur l'euthanasie: "Les gens abrègeraient les souffrances d'un chien malade. Pourquoi pas celles d'un humain?".

 

Toutes ces thématiques viennent bien sûr nourrir l'enquête en cours. Bien que son corps le lâche, Poirot a encore des cellules grises en parfait état ("Ses yeux étaient toujours aussi vifs et pétillants"). S'il a fait revenir Hastings à Style Court, c'est pour l'aider à démêler une "situation complexe". Le détective belge a ressorti cinq affaires soi-disant résolues dont le véritable coupable, selon lui, se trouverait... dans la pension. A charge d'Hastings (et du lecteur!) de l'identifier et surtout, d'empêcher son prochain crime ("Un meurtrier hantait la maison et la menace du crime planait sur nous tous")! Ce qui fait dire au narrateur que "les maisons possèdent une atmosphère. Et celle-ci a une histoire sinistre".

 

Mais le meurtrier est "exceptionnel", il possède "une technique personnelle très au point"... et les méfaits s'enchaînent. Hastings lui-même a bien failli se laisser prendre. Et voilà que Poirot meurt!

L'événement est traité par Agatha Christie avec beaucoup de pudeur, même si l'on sent toute l'émotion sous-jacente et que l'on ne peut s'empêcher de faire un rapprochement avec sa propre fin de vie (et de carrière). Heureusement Poirot a tout prévu et Hastings recevra le compte-rendu complet de toute cette machination subtile du coupable et du détective lui-même, qui a agi dans l'ombre durant tout ce temps alors même qu'on le croyait en arrière-plan de l'intrigue. Sacré Poirot! Jusqu'au bout il nous aura bluffé!

C'est donc un roman très riche et original que la reine du crime nous a offert avant de tirer le rideau.

Patricia Deschamps, juillet 2021


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