Je ne laisserai plus jamais personne affirmer qu'une femme battue est un être faible. Qui, mieux qu'elle, sait se relever chute après chute pour continuer à exister?
La veille, Lyra, quinze ans, a entendu son père frapper sa mère. Pour les deux femmes, hélas, il s'agissait d'un jour ordinaire. Ou presque. Aujourd'hui, il n'y a plus de coups, plus de cris. Ensemble, elles attendent dans un long couloir d'hôpital. Les pensées de l'adolescente s'emballent, elle ne cesse de songer aux jours précédents...
(2e de couverture)
Mon avis :
On a tous vu passer des chiffres (et des images) alarmants sur les violences conjugales. Ce roman nous immerge dans la réalité quotidienne de ces femmes.
C'est Lyra qui raconte. L'adolescente est à l'hôpital parce qu'une fois de plus, son père a frappé sa mère. Lyra attend sa Grand-Ma, l'esprit envahi de "réminiscences" des jours passés, qui ont mené au drame d'aujourd'hui. Chaque titre de chapitre évoque une couleur, en rapport avec la nature du souvenir. Le noir des toilettes où elle s'est cachée avec ses petits frères le temps que la colère paternelle s'apaise. Le rouge sang maculant le sol de la cuisine quand il a blessé leur mère au couteau. Le vert du diabolo menthe le jour où celle-ci a annoncé qu'elle allait le quitter... Lyra raconte comment "le cours de nos existences demeure suspendu, figé" tant qu'elle tel monstre vivra sous leur toit.
Car oui, "les monstres existent. Ils vivent à nos côté, avec nous". Quand la jalousie maladive de son "géniteur" éclate, il se transforme en "Bête" impossible à désamorcer. Les coups, les insultes, la peur, les petits frères à protéger, les questions des copines à esquiver (elles qui pensent que la baisse de ses notes est due à son crush pour Nathan!), l'inquiétude permanente pour sa mère restée à la maison ("Est-il bien disposé à son égard ou mal luné?"), c'est tout cela que Lyra évoque dans ce récit bouleversant.
Même si "Not all men", la jeune fille s'interroge. Comment faire confiance "lorsqu'on a sous les yeux, pour seul exemple masculin, un individu manipulateur et dangereux?". Comment ne pas douter? Quel image transmet-il à ses fils? Le père sait parfaitement gérer son image publique et personne ne viendrait à soupçonner ce qui se passe dans l'intimité de la famille. Pourquoi sa mère est-elle restée? "Par amour, par conviction, par espoir qu'il ferait des efforts pour changer, par naïveté, par honte, par peur"? Pourquoi Grand-Ma n'intervient-elle pas ("Je lui avais dit de ne pas l'épouser")? Et si les voisins avaient réagi en entendant les cris? C'est une fin choc qui clôture ce roman intense écrit pour ne plus rester indifférent·tes.
Patricia Deschamps, février 2023