J'ai fait de mes fêlures une force.
Benjamin Lacombe et Sébastien Perez rendent hommage à Frida Kahlo, l'une des plus grandes figures de l'art mexicain du XXe siècle. Tandis que l'illustrateur propose une immersion dans le processus créatif de l'artiste à travers une superposition de pages découpées, l'auteur insère dans son texte des phrases extraites des correspondances de Frida. À la manière d'un recueil de pensées, le livre explore les thématiques qui sont chères à l'artiste : l'amour, la mort, la terre, les animaux, etc.
(Texte d'après Babelio)
Mon avis :
C'est lors d'un voyage au Mexique que j'ai découvert Frida Kahlo : son effigie était partout. J'ai appris son histoire avec l'excellent livre documentaire Elles ont réalisé leur rêve : 50 portraits de femmes célèbres, et cet album de Benjamin Lacombe (lui-même découvert lors d'une expo consacrée à Alice au pays des Merveilles au Salon du livre jeunesse de Montreuil) est venu tout naturellement poursuivre ma découverte de cette artiste.
Le livre est magnifique, avec son grand format et son papier de qualité qui mettent en valeur les couleurs vives et tranchées des illustrations. S'inspirant des propres tableaux de l'artiste, Lacombe livre une succession de portraits dans son style habituel : avec une tête proportionnellement plus grosse que le corps, à la manière de certaines poupées. Ainsi, on soulève les pages ajourées, en prenant son temps (c'est un album qui se savoure !), retirant petit à petit les différentes couches de Frida jusqu'à la dévoiler, à nu. A nu, entendons-nous bien : chez la Mexicaine, le corps est littéralement à vif (façon écorchés du 19e siècle), voire réduit à un squelette. Il y a comme un côté voyeur à ce déshabillage, le sentiment de pénétrer une intimité de l'âme au-delà de celle du corps. Il se dégage une grande souffrance de ces illustrations, renforcée par les extraits de propos autobiographiques.
Et en même temps, l'abondance de fleurs et de papillons, le visage toujours séduisant (intact, lui), apportent un aspect poétique à l'ensemble. Car là est bien le but de Frida : sublimer la douleur par la peinture. Le jour de l'accident, la femme est morte, l'artiste est née ("La vie la quitte tandis que je m'éveille"). Certaines images touchent plus que d'autres, en fonction de la sensibilité du lecteur. Celles d'une nature aride, faite de sécheresse, d'épines et de cadavres - et pourtant nourricière. Celles représentant Diego, l'amour rassemblant les deux Frida - celle qui appelle la mort et celle qui espère (re)vivre - et qui détient son cœur. Le terrible renoncement à la maternité, aboutissant à une planche de foetus, ou encore cette page réunissant des objets représentatifs de l'artiste, à la façon d'un cabinet de curiosités.
Bref, on a là un bel aperçu de l'univers artistique foisonnant et chargé de symbolique de Frida Kahlo ! Il est cependant indispensable de connaître son histoire pour apprécier pleinement cet album - possibilité qui est judicieusement donnée par Benjamin Lacombe en fin d'ouvrage à travers des explications et une chronologie pertinentes.
Patricia Deschamps, août 2017