Amoh réglait ses déplacements sur sa boîte de cachous comme d'autres les règlent à leur montre. Il évaluait les distances en durée de dégustation. Le plus incroyable est qu'il calculait juste.
Petit déjà, Léo N était un garçon instable habité de pulsions violentes. Vingt ans plus tard, il est devenu un homme intolérant et redoutable qui fait peur à tous ceux qu'il croise et laisse libre cours à sa brutalité.
La tribu Mintz compte cinq enfants : Gervaise, None, Barnabé, Odette et Bébé Lou. Ce soir du 23 décembre, les parents sont sortis en amoureux pour l'inauguration de l'Opéra. Mais voilà qu'Odette pleure encore parce qu'on n'a pas installé de sapin... On ne fête pas Noël dans les familles juives, mais Hanouka ! Qu'à cela ne tienne, leur ami Amoh en a repéré un près du cimetière.
Mais les enfants n'auraient pas dû quitter la maison seuls... Car monsieur N est de sortie lui aussi...
Mon avis :
Il porte bien son nom, monsieur "haine" ! Raciste (sa femme de ménage est une "bougnoule" qui a "une odeur de métèque") et même antisémite ("Je ne savais pas que tu étais juif" (...) "Il était en colère. Il avait été trompé."), on sent dès son enfance qu'une abomination couve en lui... Foncièrement méchant, il s'en prend d'ailleurs sans pitié aux animaux et à une camarade de classe, même s'il ne commettra son premier véritable meurtre qu'une fois adulte. A neuf ans, ses propos, qui ne vont pas sans rappeler l'idéologie nazie, sont déjà détestables : "Il aurait tant voulu être grand ! Avoir les cheveux clairs !" (comme un aryen ?)... Et quand on le retrouve vingt ans plus tard, c'est devenu un psychopathe effrayant de maîtrise, ses proches (sa fiancée, sa voisine) n'imaginant pas une seconde le monstre qui se cache derrière cet illustrateur discret et respectable... Les enfants le prennent même pour le père Noël, avec son duffle-coat rouge et son col roulé blanc !
A l'opposé, les enfants Mintz constituent une tribu bruyante et joyeuse, une fratrie délurée et pleine de vie. Dans ce roman, tous les personnages, y compris les secondaires, sont pittoresques. Il y a les "sœurs perruches", deux vieilles filles qui espionnent le quartier - "activité des plus logiques pour une paire de jumelles". Radiah la baby-sitter courageuse amoureuse de Gabriel le jeune vendeur de houx aveugle, ainsi que son petit frère Amoh le mangeur de cachous. Tout ce petit monde crée des situations très drôles qui viennent contraster avec la froide détermination de monsieur N et les courts textes évoquant le camp d'Auschwitz dont Mamido (devine-t-on) est l'une des rescapées. Par contre j'ai moyennement apprécié les interventions de l'auteur qui commente ici ou là la situation (surtout au début).
Heureusement, plus le récit avance, plus le danger se rapproche et plus la tension monte ! Car ce roman est construit un peu comme un polar, un polar dans lequel on connaît le coupable et où l'on assiste en direct à la préparation de son crime. Et l'on navigue ainsi d'un point de vue et d'une atmosphère à l'autre (les enfants ne se doutent de rien). Jusqu'au grand final qui se lit d'une traite tant le suspense est intense !
Un livre que j'ai pris grand plaisir à relire ! Le thème en apparence anodin de Noël est l'occasion d'aborder celui, plus grave, de l'intolérance - "un mal qui court toujours"...
Patricia Deschamps, décembre 2016