Evelyn, May et Nell : Pour un monde plus juste

roman de Sally NICHOLLS

- Mais ce n'est pas juste! Franchement, Maman, ce n'est pas juste! Pourquoi mon frère aurait-il tout et moi rien?

Bayard, 2019, 439 p.
Bayard, 2019, 439 p.

 

Londres, février 1914 : un groupe de suffragettes emmené par Sylvia Pankhurst milite à Londres pour que le droit de vote soit accordé aux femmes.

 

Parmi elles, Evelyn, May et Nell. Pour ces trois adolescentes aux trajectoires différentes, avenir rime avec espoir.

 

Mais sur le chemin de la liberté, un obstacle de taille : la Grande Guerre éclate. Les suffragettes obtiendront-elles gain de cause ou leur combat sera-t-il reporté une fois encore ?

(4e de couverture)

Mon avis :

Au-delà du droit de vote, c'est pour le droit à la différence, d'être et de pensée, que se battent les trois héroïnes.

Evelyn, May et Nell sont des "filles modernes" aspirant à autre chose que ce qui est prévu pour elles en cette veille de Grande Guerre. Evelyn, qui ambitionne d'entrer à l'université d'Oxford, "en a assez de tout accepter sans résister". La mère de May (qui est quaker), bien plus ouverte et tolérante que les parents d'Evelyn, encourage sa fille à s'affirmer, quel qu'en soit le prix à payer. Avec Nell, le garçon manqué issu des quartiers pauvres, c'est la question de l'homosexualité et du transgenre (choquante à l'époque!) qui est abordée. Confrontée très jeune au monde du travail, Nell est bien placée pour savoir que "personne ne veut engager une fille" et quand c'est le cas, "le salaire des femmes est inférieur à celui des hommes" pour le même poste. Toutes trois se retrouvent donc naturellement aux rassemblements des suffragettes dirigées par la célèbre militante Sylvia Pankhurst.

 

Il y a un homme qui accompagne Evelyn dans toutes ses démarches, même s'il n'approuve pas les méthodes violentes des suffragettes: Teddy, son ami d'enfance et fiancé. Le personnage est lui aussi résolument moderne (et amoureux), c'est le seul de l'entourage des filles à participer aux réunions et aux manifestations, à la fois parce qu'il adhère aux idées défendues mais aussi pour protéger Evelyn car la police est aux aguets et n'hésite pas à arrêter les "rebel women"("Tu ne croyais tout de même pas que j'allais te laisser affronter ça seule?"). J'ai souvent trouvé ces scènes-là, autour du combat et des idées des suffragettes, longues et répétitives.

 

Là où cela devient intéressant, c'est que les héroïnes sont des personnages tout en nuances, souvent tiraillées entre leurs idéaux et la réalité. Certains points de vue sont difficiles à défendre dans certaines circonstances, notamment ici lorsque la guerre éclate. Le conflit apporte une nouvelle dimension à la lutte des féministes. En 1915, elles organisent "le Congrès des femmes pour la paix" visant à mettre fin aux combats par la négociation ("Imagine si des femmes comme nous mettaient fin à la guerre!"). La démarche va à l'encontre de l'enthousiasme collectif à partir "casser du Boche". Les jeunes trichent sur leur âge pour s'engager, les enfants jouent aux soldats dans les rues, mères et épouses sont fières de leurs hommes allant défendre leur pays... Le roman évoque 14-18 du point de vue de l'arrière, où l'engouement se mue rapidement en angoisse face à la faim, la pénurie, les usines qui ferment, les poilus blessés voire tués. Les suffragettes déplorent que "cette chose qui était si importante pour tant de femmes soit une nouvelle fois reléguée au second plan par les préoccupations de ces satanés hommes".

 

Cependant elles vont savoir tirer partie de cette fichue guerre. Hors de question de "faire des concessions, de devenir la personne que les autres voulaient qu'on soit... C'était tout simplement impossible". Elles sautent sur l'opportunité de remplacer les hommes dans les usines, premier pas vers l'indépendance ("des emplois plus intéressants devenaient accessibles aux femmes"). Elles s'impliquent davantage dans la vie politique ("Il était loin le temps où le journal appartenait en propre au père d'Evelyn"). Elles font des choix, pas toujours simples, comme Nell amenée à travailler comme "munitionnette" dans une usine de bombes afin de soigner son petit frère malade. Les trois filles font l'apprentissage de la vie, en tachant de garder le cap de leurs aspirations. Elles traverseront des moments difficiles, mais à l'instar de May devenue institutrice, leur message restera le même: "Je veux leur apprendre, à tous et à toutes, qu'ils peuvent devenir ce qu'ils ont choisi".

Patricia Deschamps, septembre 2019


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