Certaines nouvelles, on ne devrait pas les recevoir sans un chat qu'on puisse serrer dans ses bras.
Mafalda a 9 ans, elle aime jouer au foot, s'occuper de son chat, lire et regarder les étoiles.
Mais elle est atteinte d'une maladie génétique rare et sa vue se dégrade rapidement. Bientôt elle sera dans le noir...
Pour affronter l'obscurité, elle doit affronter ses peurs, établir de nouveaux repères et ne jamais baisser les bras en faisant confiance aux autres et à soi-même.
(4e de couverture)
Mon avis :
L'histoire émouvante d'une fillette apeurée qui devient aveugle.
Atteinte de la maladie de Stargardt, Mafalda a "du brouillard dans les yeux" qui floute ce qu'elle voit et "des taches noires devant les choses et les personnages" qui vont s'agrandissant : la docteure Olga l'a dit, dans six mois la petite fille sera dans le noir, avec tout ce que cela représente en terme de frayeurs quand on n'a pas encore dix ans... On comprend parfaitement ce que ressent Mafalda car l'auteur utilise toutes sortes d'images à la fois évocatrices et concrètes, et aussi un style un brin naïf correspondant bien à l'état d'esprit d'une enfant. Ainsi, Mafalda compte le nombre de pas qui la sépare de son miroir de chambre ("neuf, puis cinq et maintenant trois"...). Le matin, elle évalue la distance qui la sépare du magnifique cerisier de la cour d'école à partir du moment où elle l'aperçoit (70 m, 60, 50...). Sa vue se dégrade de manière alarmante, et chaque fois des exemples précis nous font mesurer l'ampleur de son désarroi.
Le cerisier, mais aussi son chat Ottimo Turcaret, ont une importance symbolique et capitale pour elle, et sont d'ailleurs largement représentés dans les jolies illustrations poétiques ponctuant chaque partie. Le cerisier de l'école lui rappelle celui de sa grand-mère décédée, et Mafalda est persuadée que l'esprit de celle-ci y réside. Elle rêve d'ailleurs de se réfugier en haut de l'arbre, comme le jeune héros du roman préféré de son père, Le baron perché. Elle s'adresse souvent au personnage de Cosimo, lui demandant de l'aide parce qu'elle se sent seule et démunie : "Je n'ai personne", à part ce chat qu'elle a recueilli et qui porte le même patronyme que celui du roman de Calvino. C'est vraiment le sentiment qui ressort le plus tout au long de l'histoire et c'est extrêmement triste de voir que la fillette a si honte de ce qui lui arrive qu'elle ne partage ses angoisses avec personne, pas même ses parents ("faire croire que tout va bien"). A l'école, personne ne semble vraiment faire grand cas de ses difficultés croissantes à se débrouiller seule, qu'elle s'évertue à cacher, y compris l'AESH toujours plongé dans ses mangas. Quant aux parents, "ils font semblant" que tout va bien aller et n'engagent jamais de véritable conversation avec leur fille même si on les sent aimants. C'est tout le problème de ces handicaps invisibles ("Mes yeux sont normaux, si on les regarde de l'extérieur.") qui font que "les gens oublient, parce qu'ils ne voient pas mon brouillard".
Heureusement deux personnes vont aider Mafalda à affronter son cauchemar. Tout d'abord Estella, la femme de service roumaine qui travaille à l'école, se révèle une oreille attentive et de bon conseil. Au lieu de s'apitoyer sur tout ce qu'elle ne pourra plus faire, elle encourage Mafalda à changer de perspective ("marquer tout ce que tu peux faire même sans les yeux") en se concentrant sur la façon de s'accommoder à la situation, et surtout à "réfléchir à ton essentiel". Citant Le petit Prince, l'autre livre préféré de la fillette, elle lui fait comprendre que "on ne voit bien qu'avec le cœur". Ainsi, se fiant à son audition qui s'affine, aux odeurs et à son ressenti, Mafalda s'entraîne à évoluer dans le noir en prenant d'autres repères. Filippo, ce garçon que beaucoup qualifient de "voyou", la sensibilise à la musique et son pouvoir évocateur. C'est lui qui, par des actes concrets, attentifs voire tendres, va donner corps aux conseils d'Estella : "Il n'est peut-être pas très poli, mais il résout pas mal de problèmes". Avec lui, "je ne me sens plus si seule au monde".
Rassurée par Filippo, encouragée à se montrer forte et à ne jamais renoncer par Estella (elle-même dans une situation délicate), Mafalda comprend que "une chose n'est essentielle que si elle te fait vivre". Et quoi de plus essentiel que de "trouver un(e) vrai(e) ami(e)" et des gens qui nous aiment ? Avec l'amour, "ce n'est pas que tu vois mieux, mais tu as moins peur de te cogner partout."
Patricia Deschamps, mars 2019