Nous ne sommes pas les bienvenus.
Etat de Virginie, le 2 février 1959.
Dix lycéens noirs s'apprêtent à faire leur rentrée au lycée Jefferson. Ce sont les premiers Noirs de l'Etat de Virginie à mettre les pieds dans un établissement pour Blancs. Parmi eux, Sarah et sa petite sœur Ruth.
Dès leur arrivée, Sarah comprend que, malgré la décision de la Cour suprême, l'intégration est loin d'être acquise... Toute la journée, ce ne sont que injures, crachats, jets d'objets et autres agressions physiques ou verbales. Seule une certaine Judy et deux ou trois enseignants semblent les considérer avec un peu plus de respect.
Et puis il y a cette fille rousse, Linda, que Sarah trouve si jolie... Mais si devenir amie avec une Blanche semble compliqué, en tomber amoureuse, c'est franchement aller au devant de graves ennuis!
Mon avis :
Un roman choc sur l'oppression subie par les Noirs !
Les premiers chapitres, écrits du point de vue de Sarah, révoltent : on n'imagine pas les humiliations et les violences vécues au quotidien par ces lycéens précurseurs... Chaque minute est un combat et ce qui devait être un moyen "d'accéder à la meilleure éducation possible et de participer au mouvement des droits" se transforme en lutte pour la survie. Bien qu'elle s'attendait à rencontrer des oppositions ("cinq ans que la Cour suprême a dit qu'il fallait nous intégrer, mais les Blancs ont résisté de toutes leurs forces"), Sarah n'imaginait pas toute la haine dont elle ferait l'objet. Sans compter les préjugés circulant sur les gens de couleur, comme l'odeur ou la stupidité alors que la jeune fille compte parmi les meilleurs élèves de son lycée, "c'est pour ça qu'on a nous choisis". Malgré tout elle s'accroche, faisant preuve d'un courage admirable ("Impassible. C'est comme ça qu'ils doivent me voir"), consciente que "l'intelligence peut faire plus de dégâts que des jets de pierre". Petite originalité : chaque titre de chapitre correspond à l'un des mensonges que l'héroïne tourne (plus ou moins consciemment) dans sa tête : "Pas besoin d'avoir peur", "Je suis sûre que je fais ce qu'il faut", "Je me fiche de ce qu'on pense de moi", etc.
Même procédé lorsque c'est Linda qui prend la parole. Avec elle, on réalise peu à peu que les Blancs ont une totale méconnaissance des Noirs : "C'est la première personne de couleur que je fréquente", "C'est bizarre de voir une personne de couleur de si près", "C'est la première fois que je touche une personne noire"... En fréquentant (malgré elle) Sarah, Linda se met à douter de tout ce que son père, journaliste respecté opposé à l'intégration, peut bien lui répéter depuis des années. "Je n'ai jamais lu ça dans les journaux", s'étonne l'adolescente en écoutant sa camarade noire lui évoquer toutes les injustices dont ses homologues sont les victimes. "Ça ne peut pas être vrai, si ? Sans quoi les journaux l'auraient dit"... Cependant, ce que lui reproche Sarah surtout, c'est sa passivité face à ces agressions physiques ou verbales dont elle est témoin au lycée : "Tu laisses le sale boulot aux autres. Cela ne veut pas dire que tu vaux mieux". Linda est souvent outrée de ce qu'elle voit ("ça me fait mal"), mais elle a trop peur des représailles... Pour autant l'idée fait son chemin : "quelque chose est en train de changer dans ma tête", "à part la couleur de sa peau, je ne pense pas que Sarah soit vraiment différente de moi", "elle a fait irruption dans ma vie et a tout bouleversé".
Car des sentiments inavouables sont en train de naître chez elles deux. Ce n'est que de la connivence, tout d'abord, chacune ayant l'impression d'être invisible aux yeux de sa famille. Linda a même prévu d'épouser le plus vite possible Jack, le premier garçon respectable qu'elle a trouvé, afin de fuir sa maison (et surtout son père). Un Jack pour qui elle n'a jamais ressenti ce qu'elle ressent en compagnie de Sarah... Cette attirance-là est plus délicate à accepter : "Mais c'est une fille et elle est noire" !
"Contre nature", "perverse", Sarah emploie des mots terribles pour se qualifier, même si elle se doutait depuis un moment déjà de ses penchants homosexuels. Mais c'est justement cet amour qu'elles ressentent l'une pour l'autre qui vont amener les deux héroïnes à véritablement changer. Linda commence à remettre en cause la ségrégation : "sur le principe, ça me semble juste ; mais, quand je me mets à penser à Sarah, tout se complique dans ma tête". Elle va petit à petit se forger puis affirmer sa propre opinion. De son côté, Sarah la soumise se met à tenir tête aux Blancs, consciente d'être dans son bon droit : "il n'est pas question qu'ils nous acceptent ou non. Nous avons autant qu'eux le droit d'être ici". Dans leurs têtes les mensonges se transforment en vérités, notamment "c'est moi qui décide" - de ma vie, de qui je veux être - car "quand on aime quelqu'un, on ne devrait pas trop se soucier de ce que les autres pensent". Au final les filles feront leurs propres choix, pas simples, véhiculant cependant le message d'espoir que "nous devions continuer à nous battre" afin que le monde change.
Patricia Deschamps, mars 2017
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