Un berger peuhl, qui a eu la sottise ou le courage
de transgresser pour elle la loi de la savane.
Afrique de l'Ouest, 18e siècle.
Parce qu'il est tombé amoureux d'une jeune femme appartenant à un peuple ennemi, Traoré le berger peuhl se retrouve prisonnier au village toucouleur.
Quand les "cavaliers du désert" débarquent, Traoré et Vanidia se savent sauvés de la mort... mais ce sont des "marchands d'hommes", et voilà les deux jeunes gens enchaînés avec d'autres pour une longue traversée de la savane jusqu'à la côte.
Là, ils sont vendus comme esclaves à des Blancs qui les embarquent sur leur négrier à destination des Antilles...
Quelle vie attend désormais Traoré et Vanidia ? Arriveront-ils à vivre leur amour ?
Mon avis :
Une immersion poignante dans le monde de l'esclavage.
Ce dont parle avant tout ce roman, c'est d'intolérance. Dans son village, déjà, Traoré se désole de l'absurde rivalité peuhl-toucouleur dont on ne connaît même plus les raisons : "Il constate qu'ici rien ne diffère de ce à quoi il a été habitué chez lui"... Pourtant dans les faits, chacun a ses propres territoires, son propre dialecte. Ce manque de cohésion, d'unité africaine, Traoré le retrouve au milieu de ses compagnons esclaves : loin d'être une richesse, leur diversité les empêche de communiquer, de se coordonner pour faire front ensemble. De même, une fois aux Antilles, les "nègres créoles" ont bien du mal à intégrer les "nègres d'Afrique". Dès lors, il est d'autant plus facile pour les Blancs d'imposer leur domination.
Une fois enchaîné, Traoré est déshumanisé, réduit à l'état de marchandise. "Une seule chose compte désormais", lui dit Vanidia, "survivre et être fort. Ceux qui faiblissent sont condamnés". Mais comment ne pas céder au désespoir lorsque l'on est soumis comme un troupeau de chèvres et que l'on subit les humiliations à longueur de journée ? Seul l'espoir de croiser la jeune fille, d'échanger quelques mots avec elle, lui donne la force de tenir : elle est à la fois "la cause de son malheur et sa raison de survivre". Malheureusement on la perd de vue un moment... Traoré est bel et bien le personnage principal de cette histoire.
Le point de vue des Blancs nous est donné à travers le journal de bord de Yvon de Kerven, qui fait office de médecin sur le bateau négrier. C'est la première fois que le jeune homme voit des Noirs mais il comprend rapidement que l'attitude de ses confrères à leur égard n'est pas digne d'êtres humains. Pour autant il ne protestera jamais, préférant fermer les yeux sur les atrocités dont il est témoin.
Traoré ne veut pas se contenter de dignité : c'est la liberté qu'il veut retrouver, quel qu'en soit le prix. Si le jeune peuhl est souvent envahi par le désespoir ("Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux être mort ?"), il bouillonne également de colère, rêvant d'entraîner ses compagnons à la révolte. Pour l'aider à traverser cette épreuve, il y a heureusement les veillées, une fois la semaine, qui autorisent à prendre un peu de bon temps, ainsi que son camarade Seghor qui, comme lui, se demande s'il vaut mieux vivre en esclave ou mourir libre ("en guerrier peuhl"). Mais la liberté peut être "aussi dure à vivre que la servitude", et surtout, quel prix faudra-t-il payer ?
Un roman instructif, complété par des informations sur la traite des noirs en fin d'ouvrage.
Patricia Deschamps, mars 2016