Doute de tout et réfléchis !
Arisa est confrontée à un grave dilemme en découvrant son petit copain et sa meilleure amie ensemble. Elle est partagée car elle trouve qu'ils sont bien assortis et elle leur souhaite tout le bonheur, mais elle éprouve aussi de la jalousie à leur égard. Elle formule le vœu de devenir plus sage et réfléchie. Le destin met alors sur son chemin un jeune homme venu l'aider et qui prétend être la réincarnation du philosophe Nietzsche.
(4e de couverture)
Mon avis :
Quand un manga rend accessible la pensée de grands philosophes.
Faire de la jeune Arisa un "surhomme", c'est-à-dire "une personne dont l'esprit est assez fort pour résister à n'importe quelle absurdité", voilà l'objectif du philosophe allemand Nietzsche, réincarné dans le corps d'un jeune homme. "Tu dois réfléchir par toi-même", assène celui qui, au XIXe siècle, a réfléchi à "la meilleure façon de vivre". Nous voilà donc, tout naturellement, immergés dans les idées passionnantes et pertinentes de l'homme à travers un ancrage concret dans le quotidien.
"La morale des faibles" (quand on opte pour la tendance), "la justification faible" (dénigrer quelque chose qui nous résiste), "l'éternel retour" (toute chose peut potentiellement se répéter) ou encore "le nihilisme" (baisser les bras quand les épreuves s'enchaînent) font écho à des situations vécues aussi bien chez l'héroïne que chez le lecteur ("En discutant, j'ai l'impression qu'il met de l'ordre dans mes idées"). Nietzsche met régulièrement Arisa au défi avec des tâches sensées la faire sortir de sa zone de confort intellectuel ("ça fait partie de mon entraînement"). Il en résulte des échanges souvent drôles car déstabilisants pour la jeune fille.
Les conseils qui en découlent sont de bon sens: plutôt que de se plaindre de son sort, mieux vaut réfléchir à des solutions ("Considère que, quoi qu'il arrive, c'est toi qui l'as voulu."). Quand on est loin du but qu'on s'est fixé, il faut savoir apprécier le chemin à parcourir... et celui parcouru (c'est "l'amour du destin"). Rien ne sert de gâcher sa vie entière à cause d'un échec ou d'un coup dur: "le nihilisme des forts", c'est de regarder la vie en face et de se battre. Mieux vaut développer une "volonté de puissance" qui donne envie de devenir plus fort.
Nietzsche n'est pas le seul philosophe à s'être réincarné à notre époque: Arisa fait également la connaissance de Kierkegaard, revenu sous l'apparence d'un... mannequin de magazine! Avec lui, elle évoque, entre autres, la "vérité subjective" (ce que je pense, indépendamment de l'opinion du plus grand nombre) et il lui conseille de devenir "éthicien" c'est-à-dire de vivre sa vie sans être trop influencé par les autres.
Au fil des conversations et des rencontres, un lien de plus en plus étroit se crée entre l'adolescente et le philosophe-coach. Mais celui-ci semble cacher un passé trouble (Pourquoi le patronyme de Arisa l'interpelle-t-il? Qui est Salomé? Quelle est cette histoire de cohabitation?), ce que la jeune fille compte bien percer à jour!
Patricia Deschamps, août 2021
Notre rôle est de douter de tout, pour réfléchir par nos propres moyens et devenir le plus libre possible.
Mon avis (★★★★★) :
Les réflexions de Nietzsche font leur chemin chez Arisa qui commence à mettre en pratique ses enseignements ("J'ai tiré un trait sur mon histoire passée"). Elle va même jusqu'à donner des conseils à sa cousine, c'est qu'elle a bien assimilé les notions!
Les échanges sont de plus en plus drôles et enlevés, d'autant que les personnages rencontrés sont de plus en plus curieux: Schopenhauer fait peur, Sartre (devenu propriétaire de bar!) est un "séducteur indécrottable", tandis que Wagner le musicien (que fait-il là?) détonne par sa frivolité.
Les grands principes philosophiques (comme "l'essence et l'existence", "l'enfer c'est les autres") sont exprimés clairement, s'appuyant sur de nombreux exemples, images et comparaisons ("C'est génial la philosophie!"). Par contre le volume s'arrête brusquement en pleine conversation...
Patricia Deschamps, août 2021
Mon avis (★★★★★) :
Dans ce dernier tome, on reprend la conversation interrompue avec Sartre, puis c'est au tour de Heidegger de contribuer à faire de Arisa un "surhomme". Les théories sont un peu plus ardues ("Fais comme si elle était en primaire!") mais l'adolescente se montre de plus en plus réactive dans les échanges, d'autant plus que les théories des philosophes se complètent. Ce que je retiendrai de cette scène, c'est qu'il faut "profiter de tout le temps qu'on a avant de mourir", autrement dit "vivre de façon authentique, en ayant conscience de la mort" ("J'appelle cela la décision d'existence"). De fait, Arisa se fait moins passive ("Que serais-je devenue sans la philosophie?").
J'ai eu le sentiment, en lisant cette série, que la philosophie, plus qu'une réflexion, proposait tout un art de vivre ("débattre sur la vie, s'interroger sur les choses qui nous interpellent"). Au bout du compte "elle n'est pas si dure, elle nous aide à réaliser des choses dont on se doute déjà". J'ai même trouvé certaines similitudes avec les idées véhiculées par le bouddhisme. D'ailleurs les réflexions faisaient écho à des textes que j'affectionne tels que A nous la liberté! et Trois amis en quête de sagesse, co-écrits par un psychiatre, un moine bouddhiste... et un philosophe.
Mais voilà, tout a une fin, le rôle de Nietzsche se termine et à partir de maintenant, Arisa "va devoir se trouver, pas me suivre". En effet, "nous sommes les seuls à pouvoir trouver le sens de notre vie et nous façonner un quotidien qui ne nous laissera pas de regrets".
Patricia Deschamps, août 2021