Ce n'est pas parce que je suis sortie de la secte, que la secte est sortie de moi.
Dans la nuit, une jeune fille court pour attraper son train. Elle désire partir au plus vite. Mettre des kilomètres entre elle et cette secte où elle vient de passer plusieurs mois. Dans la tranquillité du train qui file vers Paris, Marion se souvient de l’itinéraire qui l’a amenée jusqu’ici: publicitaire aux soirées aussi remplies que les jours, en rupture amoureuse et familiale, elle suit les conseils d’un ami qui lui propose de venir se ressourcer, s’épanouir grâce à des techniques scientifiques parfaitement éprouvées. Marion met, avec espoir, le doigt dans un engrenage dont il lui faudra des années pour s’extirper entièrement.
Mon avis :
Un témoignage édifiant sur les procédés de l'église de scientologie.
Si le graphisme, entièrement bleu, peut gêner, le scénario de cette bande dessinée, complété par un dossier qui revient sur les passages déterminants, explique clairement comment la jeune Marion s'est laissée embrigader par la secte. Déstabilisée par le stress et la pression qu'elle subit au travail ainsi que par une énième déception sentimentale ("Encore une histoire d'amour qui foirait..."), Marion est hameçonnée par un ex, Raphaël, qui lui propose "une philosophie religieuse qui s'appuie sur des techniques scientifiques de connaissance de soi, pour développer le mental des gens. Le but est d'améliorer le rapport aux autres, d'avoir une vie plus intéressante, d'œuvrer pour un monde meilleur". Le programme est alléchant, mais ce que ne sait pas la jeune femme, c'est que Raphaël est un recruteur "qui leurre par un discours séduisant et trompeur", en échange de prestations gratuites.
Ce qui intéresse la secte évidemment, ce sont les gens qui ont de l'argent. Car le fameux "programme de purification" s'élève à 1200 euros et chaque "audition" (sorte d'entretien psychologique) à 120 euros la séance... Mais voilà: Marion se sent une connivence avec le groupe ("Pour une fois, quelqu'un me prenait en considération") et la sollicitude de Karine l'auditrice lui procure "un réel sentiment de bien-être" (alors que le but est de recueillir des informations sur elle et de détecter des fragilités qui pourront être utilisées ultérieurement).
Une fois embrigadée, tout s'enchaîne. Marion passe tous les jours chez les scientologues, "un peu comme on se rend au club". Puis on lui propose un contrat de travail, un poste à l'étranger de "pro de la sciento". C'est une décision expresse, on ne lui laisse que 48h pour partir. Sa mère ne cherche même pas à discuter, "elle savait bien que cela n'aurait servi à rien", le dialogue est rompu. A Copenhague, pareil, "pas une minute à soi pour réfléchir", il s'agit d'affaiblir physiquement les adeptes et de les empêcher de penser. Les interdits s'accumulent (pas de journaux, de téléphone, aucun contact extérieur), tout comme les corvées (de rénovation d'immeubles). Aucune liberté, activités esclavagistes (ils sont payés 3 euros la semaine...): les méthodes employées sont "dignes de certains régimes totalitaires"! Abrutie par le rythme d'enfer et le manque de sommeil, Marion sombre dans un état second.
Mais cela ne l'empêche pas de commencer à douter. Sauf que la secte ne laisse pas partir les gens si facilement ("Ils ne vont pas te lâcher comme ça")! "Ils m'abrutissaient de questions. Ils essayaient de me culpabiliser", raconte la jeune femme. Quand enfin elle réussit à s'enfuir, elle subit harcèlement téléphonique, filatures, menaces ("Je me suis rendu compte que ces gens étaient vraiment dangereux"). Il faudra des années avant que l'affaire soit portée devant un tribunal car les scientologues ont des relations haut placées qui enterrent plaintes, rapports de PJ et autres enquêtes journalistiques.
Heureusement le courage de Marion aura permis que son témoignage voit le jour et que "ça serve à d'autres pour ne pas tomber dans le même piège".
Patricia Deschamps, juin 2022
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