La vie est bizarre et elle n'a aucun sens.
1992. Marie-Ange, Monelle, Julien et Sami sont lycéens dans une école d’art. En cours de dessin, leur modèle préféré s’appelle Joos. Il est jeune, libre et beau.
À l’âge des premières expériences amoureuses, l’épidémie de sida s’immisce brutalement dans leurs vies. La plupart des adultes se taisent et semblent ignorer la tragédie.
Marie-Ange décide de briser le silence, d’affronter le regard de ses parents, de la société, et de s’engager.
(4e de couverture)
Mon avis :
Un roman qui, même s'il se déroule dans les années 1990, relance le problème toujours actuel du sida ("On n'en guérit toujours pas !") et de la discrimination liée aux homosexuels.
Marie-Ange n'est pas bien dans son corps, pas bien dans sa vie. Avec ses parents "coincés au 19e siècle", les interdits sont nombreux, les tabous encore plus et la discussion impossible : "L'avortement, ma mère est contre. La pilule, elle est contre. Les homos, faut les soigner." Or, Joos l'homosexuel vient d'entrer dans son petit groupe d'amis, apportant avec lui un souffle de liberté et de révolte. Peu à peu Marie-Ange se détache du carcan familial ("Trop de frustrations, trop de choses ravalées, trop de rancune"), apprivoise son corps et symbolise cette métamorphose en changeant de prénom : désormais elle est Mary.
Mais voilà que la terrible nouvelle tombe : Joos est séropositif. Avec les premiers symptômes qui apparaissent, c'est l'amitié qui éclate, les larmes qui pointent, la mort qui se profile. Car l'annonce "n'en finit pas de bousculer sa vie" : il y a les silences pour éviter le sujet, les mensonges pour préserver le secret, éviter le jugement des autres, la solidarité à préserver tout en respectant les réactions, l'épuisement moral et physique à un âge où l'on est sensé rire et penser à l'avenir. Mais quel avenir peut-on espérer quand on se sait condamné?
Alors Mary se lance dans le militantisme aux côtés des membres d'Act Up pour "alerter l'opinion publique sur l'épidémie de sida qui décime les homosexuels". Il faut se remettre dans le contexte de l'époque (les préservatifs, c'est "un truc de pédés"), où les tabous entretiennent "la loi du silence". Pour l'héroïne, "ses propres réflexions et colères ont trouvé un écho dans celles de ces luttes collectives", "ses petits problèmes personnels sont devenus un peu dérisoires à côté de tout ça" et ses priorités de vie s'en trouveront changées irrémédiablement.
Ainsi on se laisse embarquer par l'histoire de cette bande de jeunes entre espoir et souffrance, portés par l'écriture efficace, un brin nerveuse, de l'auteur, et la thématique, en filigrane, du dessin, qui permet à ces étudiants en art de se raccrocher à une activité familière et rassurante, mais aussi d'exprimer leurs émotions contenues. J'ai cependant trouvé dommage que le récit ne soit pas suivi d'un bref point sur la maladie aujourd'hui, que les adolescents actuels semblent oublier.
Un roman sensible pour une thématique difficile.
Patricia Deschamps, avril 2019