Comment un élève peut-il être attentif lorsqu'on lui impose tout, qu'on lui donne des ordres ?
Instituteur éclairé et visionnaire, Célestin Freinet s'est battu pour donner aux élèves l'envie d'apprendre en inventant, dans les années 1920/1930, une pédagogie active, où l'élève est encouragé à écrire, à gérer un journal scolaire, à travailler en groupe... et à fuir l'ennui des leçons apprises par cœur ! De nombreux enseignants se servent aujourd'hui avec bonheur de la pédagogie Freinet.
Mon avis :
Retour sur les moments-clés de la carrière de Freinet pour mieux comprendre les idées qu'il défendait.
On découvre l'instituteur le jour de sa première rentrée, dans une petite école de campagne. Lui qui revient de la guerre est d'emblée choqué par les méthodes "militaires" employées par le directeur : "Les élèves sont alignés comme des soldats. Il faut donc les mettre au pas, matin, midi et soir ?", "Nous ne sommes pas dans une caserne ici, nous sommes dans une école." Il entreprend des aménagements de la salle de classe ("Ce qu'il faut, c'est les regarder dans les yeux, me trouver à leur niveau, pas au-dessus d'eux, perché sur cette estrade que je déteste". "Maintenant, nous allons déplacer les bancs. Ceux qui ont envie d'être ensemble se rapprochent.") et met en place les "classes promenades" où les apprentissages se font grandeur nature ("Ça y est, ils sont sur la voie des comparaisons des distances, des mesures, des notions de longueurs."). Freinet s'appuie sur les centres d'intérêt des enfants pour les impliquer dans les apprentissages, valorise leurs connaissances personnelles ("Eugène prend les choses en main. Il va montrer aux autres."), encourage les initiatives, l'autonomie et la prise de responsabilités, notamment dans les travaux de groupe. Freinet a aussi à cœur de "donner à tous la possibilité de s'épanouir", y compris les "plus pauvres d'entre les pauvres", souvent "têtes de Turcs" de leurs camarades.
Peu à peu, les élèves amorphes s'ouvrent à la curiosité ("C'est incroyable comme mes élèves changent de jour en jour") et les progrès sont indéniables. C'est aussi le début d'un "vaste mouvement coopératif d'entraide pédagogique", puisque l'instituteur, tout comme sa femme, rédige des articles afin de mutualiser les pratiques et les développer. Bien sûr cette pédagogie nouvelle bouscule les idées reçues et les contestations, voire les agressions, sont nombreuses ("Tu agaces les bourgeois"). Mais la dernière scène conforte Célestin Freinet dans sa manière de faire : alors qu'il se trouve dans le maquis de Vallouise en 1944, il retrouve un ancien élève, maquisard lui aussi, et donc "homme libre de sa vie et de ses choix". Car tel est bien l'enjeu de l'éducation : que les jeunes soient "armés pour aller de l'avant, intrépides devant l'injustice...".
Comme toujours dans la collection, un petit dossier permet d'aller plus loin, notamment en évoquant d'autres célèbres pédagogues comme Janusz Korczak et Maria Montessori "qui ont réfléchi à de nouvelles manières de considérer et d'éduquer les enfants", mais aussi des systèmes novateurs comme celui de la Finlande. La question de l'ennui et du manque de motivation est en effet toujours d'actualité, la pédagogie Freinet se heurtant toujours à la rigidité de l'institution... Heureusement, en France, "les innovations passent beaucoup par les enseignants qui expérimentent" dans leurs classes au-delà de directives ministérielles parfois peu appropriées. Car "eux savent que des élèves qui sont impliqués sont des élèves acquis pour l'apprentissage, curieux et motivés"... et de futurs adultes investis et réfléchis.
Patricia Deschamps, avril 2019