- Dieu habite dans les cœurs brisés.
- Mon cœur est en cendres.
Alex, 17 ans, intègre la Clinique de la Citadelle, groupe des "Suicidants" : des personnes qui ont raté leur tentative de suicide - à ne pas confondre avec les Suicidaires, qui ne sont pas passés à l'acte.
Parmi eux, Colette qui a survécu à un suicide de couple aux barbituriques mais pas son mari Lucien ; le jeune Victor, obèse, qui a avalé, croyant que c'était des somnifères, une boîte de pilules... aux plantes ; Jacopo l'Italien qui a essayé de se jeter d'une falaise... sans réussir à sauter.
Alex, lui, a voulu arrêter son cœur de battre avec des bêtabloquants puis une balle de pistolet. Parce que le cœur ne peut s'empêcher d'aimer et que aimer, ça fait souffrir. Surtout quand on a perdu sa mère.
Mais voilà : dans le groupe débarque la belle Alice, qui a voulu se planter un couteau dans le cœur... et qui fait chavirer celui d'Alex malgré lui.
Mon avis :
La thématique délicate du suicide abordée avec humour et tendresse.
La première scène de ce roman est un summum d'humour noir ! On y découvre les "Suicidants" racontant leur tentative (lamentablement) ratée et son motif, de telle manière que, d'emblée, le ton est donné : le roman mêlera un mal-être certain à de l'amour (somme toute) espéré, une poésie un peu folle à des sentiments étouffés, et la réalité, un peu sordide, est constamment tournée en dérision. Les cinq personnages sont hauts en couleur, chacun dans leur genre, et on ne s'ennuie pas un instant dans ce groupe à la répartie enlevée, à part peut-être Jacopo que tout "emmerde" !
C'est Colette, l'ancienne, qui donne le ton, alimentant les conversations à grand renfort de métaphores, aphorismes et autres bons mots qui exaspèrent Victor : "J'ai rien compris." (et c'est vrai que cela finit par être pesant). Alice est un concentré de négativité ("L'hiver habite mon cœur.") et l'on finira par comprendre pourquoi. Les sentiments gelés, Alex connaît bien, lui qui a "une carapace glacée autour du cœur" depuis que sa mère est morte. Depuis peu elle s'est fendue et cela lui fait peur : aimer, c'est prendre le risque de souffrir, notamment lorsque l'on perd l'être cher. La mère d'Alex était maniaco-dépressive-bipolaire (comme celle du narrateur de En attendant Bojangles), tantôt inventive, tantôt sanglotante, mais toujours surprenante, et il ne s'est jamais remis de sa disparition. Seulement "Je ne sais pas ce que vous voulez faire à votre cœur, mais lui, il ne veut pas." et les voilà réunis pour en discuter.
Cependant il ne faudra pas compter sur le Doc ni sur les animateurs d'art-thérapie et autre "Marche en Pleine Conscience" pour s'en sortir : aucun ne rebondit sur les remarques des patients, qui semblent même les déstabiliser ("Il n'a rien trouvé à répondre à ça."), à tel point que cela en devient désopilant ! Qu'ils soient incompétents ou résignés à ne pas pouvoir les soigner, ils sont tous aussi désolants ! Certes les suicidants sont parfois un brin agaçants avec leur obsession de la mort, mais on comprend vite qu'ils ont tous peur d'aimer, et cela les rend terriblement attachants. C'est avec tendresse et amusement qu'on les suit à travers leur périple en Normandie, observant ces paroles qui se libèrent et ces cœurs qui s'ouvrent et qui, au bout de la route, trouveront tous une forme d'apaisement... chacun à son étrange manière.
Patricia Deschamps, septembre 2018