Personne n'avait envie de s'embarrasser des problèmes des autres. Personne ne devait embarrasser les autres avec ses problèmes. Et c'était bien pour cela qu'on apprenait à les garder en soi. Les problèmes ne se montraient pas.
Au lycée ou même chez soi, quand on vit au Japon, on n’étale pas ses problèmes.
Pourtant, Emi aurait beaucoup à dire : le harcèlement qu’elle subit, l’attitude de ses parents… et surtout cette culpabilité qu’elle essaie d’enfouir depuis plusieurs mois.
Emi ne se confie jamais. Elle se réfugie dans ses mangas et fait semblant que tout va bien.
Jusqu’à ce qu’une rencontre lui donne envie de s’ouvrir enfin.
Mais à qui peut-on se fier dans une société où les apparences peuvent l'emporter sur la vérité ?
(4e de couverture)
Mon avis :
Ce roman sur le harcèlement a pour originalité de se dérouler au Japon, pays de la retenue par excellence où il est mal vu de s’épancher... Raison supplémentaire pour que la jeune Emi, 16 ans, n'ose parler à quiconque des insultes de Ayumi la peste et de ses groupies. Ses parents voient bien qu'elle s'isole de plus en plus, mais sans entrer franchement dans le dialogue. En cours, Emi se sent également ignorée voire méprisée par élèves et enseignants ("Etre victime est humiliant"), mis à part Mlle Suzuki, sa prof d'arts qui, en toute pudeur et discrétion, lui apporte son soutien. Alors l'adolescente évolue seule avec "cette peur qui rendait son quotidien insupportable".
Et voilà qu'elle fait la connaissance de Hana dans un bar à chats. Petit à petit, la jeune femme va lui donner confiance en elle ("Elle était avec Hana. Rien de mal ne pouvait lui arriver") et écarter "la honte, la colère, la tristesse, le sentiment d'injustice et d'incompréhension". Si l'histoire s'était résumée à cela, le roman ne m'aurait guère captivée -trop convenu. J'ai surtout aimé l'immersion dans la culture nippone et comment la thématique vient s'y intégrer. Au fil des pages, on comprend le mode de fonctionnement des Japonais, leurs croyances, leur mentalité encore très imprégnée de l'héritage ancestral. Depuis les geishas jusqu'aux Burakumin (cette minorité discriminée) en passant par les yakuzas et la folie des mangas, c'est tout un art de vivre qui se déploie sous nos yeux.
Intégrés au récit, des mails intrigants s'adressent à une certaine Fubuki Katana et évoquent un mystérieux contrat. Quel est le lien entre les deux intrigues? La réponse sera saisissante car inattendue, propre encore une fois aux mœurs du pays. Si la fin fait osciller entre tristesse et poésie, on retiendra la gravité de certains non-dits, propres à gâcher une vie. Mieux vaut encore la vérité qui, malgré ses blessures, fait avancer.
Patricia Deschamps, décembre 2020