On savait faire disparaître tout malaise : il suffisait de consommer. Mais aujourd'hui Aïleen en avait assez des simulacres, elle ressentait une absence, un vide, que rien d'achetable ne pouvait combler.
Dans un futur lointain.
La Terre n'est plus qu'une gigantesque ville, constituée d'impressionnants immeubles de béton de plusieurs kilomètres sans fenêtres.
Aïleen est une jeune femme ambitieuse, qui gravit avec facilité les échelons de cette nouvelle société. Mais, même si elle a tout pour être heureuse, elle se sent en permanence frustrée.
Lorsqu'elle prend ses fonctions dans un nouveau poste à responsabilités, elle découvre avec effroi que sa réalité n'est faite que d'univers virtuels qui cachent un monde extérieur sombre et impitoyable...
(4e de couverture)
Mon avis :
Un monde futuriste qui fait froid dans le dos, d'autant plus que les dérives actuelles le rendent tout-à-fait réaliste...
Dans la société où évolue Aïleen, les relations sont devenues entièrement virtuelles: plus de contact physique, on se rencontre via avatars, on interagit à l'aide d'un écran d'ordinateur, on travaille à domicile. Celui-ci est une sorte de box dont les murs projettent les paysages de son choix et des robots livrent la nourriture (fabriquée en labo) commandée par appli. Ainsi plus personne ne sort, car de toute façon personne ne sait qu'il existe un "dehors"! Les gens sont en effet entretenus dans leur petite vie artificielle, faite de relations superficielles, et vaguement comblée par le besoin illusoire de surconsommer: "Ils vivent heureux enfermés dans leur placard en croyant que la vie est ce qu'ils voient sur leurs écrans"... N'est-ce pas la tendance actuelle?! Le plus choquant est l'éducation des préadolescentes qui n'ont que "deux heures d'enseignement par jour, le reste du temps elles visionnaient des vidéos, parcouraient des ishops de mode, se filmaient en train d'essayer des vêtements, expérimentaient des coiffures, gloussaient et bavardaient sans cesse". On imagine très bien ce monde futile et aseptisé (qui m'a rappelé plusieurs épisodes de la série Black Mirror) tant il est proche des travers que l'on observe déjà chez beaucoup...
L'héroïne ne se démarque pas vraiment du lot: elle ne rêve que de gravir les échelons afin de gagner toujours plus de privilèges, n'a pas de réelle amie. Cependant elle a "un ennemi: l'ennui". Dans ce décor où tout élément discordant est effacé par des filtres ("il ne fallait pas inquiéter les habitants"), y compris son propre reflet dans le miroir (!), l'uniformité et l'absence de perspective réelle pèsent à cette jeune femme éprise de liberté. Pire: elle doit commander une armée de drones qui n'hésite pas à éliminer tout individu suspect (les "esdefs") d'un rayon laser! Il faut préserver l'illusion de sécurité de ces innombrables blocs de béton aux allures de prison.
Car il existe tout de même un extérieur, même s'il est dévasté suite à une catastrophe écologique. Un village en dehors de Lassité ("Dehors, quel mot magique!"), au cœur d'une petite forêt subsistante malgré le ciel pollué. Il est habité par un peuple d'Anciens "marginaux et autogérés" dont la (sur)vie rudimentaire, mais saine, contraste avec le quotidien d'Aïleen. De ce côté-ci, le narrateur est un adolescent "fougueux et sensible à la fois", Astur. Secondé par Jef le fils du bûcheron, Astur explore les blocs avec curiosité, faisant fi du danger pour trouver une faille quelque part. On suit les deux héros en parallèle, lui en mode action empreinte de tension, et elle qui peu à peu, à travers son nouveau poste, découvre "des vérités qui vont ébranler ses convictions".
J'ai aimé ce double aspect, l'immersion dans le monde ultra geek (glossaire à l'appui) de Aïleen en alternance avec celui, simple et proche de la nature, d'Astur. La dénonciation de la surexploitation de notre planète Terre (qui n'est plus bleue vue de l'espace...), de la course à la consommation provoquée par des profiteurs cherchant à s'enrichir toujours davantage (sans pour autant combler leur désœuvrement). La volonté d'un retour à l'authentique, dans ses relations aux autres et au monde. Rien de bien nouveau, certes, mais le tout est bien mené et fait passer un agréable moment de lecture.
Patricia Deschamps, octobre 2019