A 85 ans, Napoléon, le grand-père de Léonard, refuse d'être considéré comme vieux. Il a d'ailleurs décidé de commencer une nouvelle vie, à commencer par divorcer de Joséphine.
Avec l'aide de Léonard, alias Coco, il enchaîne les quatre cent coups : travaux de rénovation, adoption d'un chien nommé Point à la ligne, projet d'enlèvement d'un animateur radio, bowling et castagne, séquestration de la garde malade... Hors de question de se laisser déporter en maison de retraite !
Cependant, l'ancien boxeur va bientôt découvrir ses limites...
Mon avis :
Un magnifique roman qui évoque la vieillesse avec humour et tendresse.
Coco partage une grande complicité avec son grand-père : "Je l'admirais. Je me disais que la vie avait ses secrets et que mon grand-père les connaissait tous", "Tout ce qu'un grand-père pouvait donner à son petit-fils, Napoléon me le donnait". Il faut dire que celui-ci a une sacrée personnalité ! Vif et malicieux, il a un répondant qui tour à tour amuse et offusque les gens. Mais ce que n'ose avouer "l'empereur", c'est que "il a la trouille" : l'idée de mourir l'angoisse. Alors il en rajoute dans les pitreries et les excès, voulant prouver à tous - et avant tout à lui-même - qu'il est encore vaillant, et pour longtemps. Coco "l'aide de camp" promu "général" est son complice chargé de maintenir l'illusion de "l'empire" autant que possible : "Tant qu'on lutte, on est en vie".
Et c'est ce qu'il fait courageusement, en observateur attentif et attentionné qui s'efforce d'apporter à son grand-père ce qu'il attend de lui, ce dont il a besoin, le soutenant dans toutes ses entreprises même si on le soupçonne de ne pas toujours les cautionner. Coco est un garçon admirable pour son âge, plein de sensibilité et de maturité. Chacun des personnages a d'ailleurs autant de présence que de singularité. Joséphine, la mamie écartée (et on comprendra pourquoi à la fin), pense à Napoléon chaque minute de sa journée et a bien du mal à tourner la page. Samuel, le père, est touchant car constamment dénigré voire humilié par Napoléon ("couille molle !") alors qu'il rêverait de le rendre fier : "C'est ça que tu voulais que je sois, hein ? Comme ça que j'aurais été ton fils ?". Et il y a la mère, enfin, témoin silencieux de toutes ces scènes familiales qu'elle dessine "en gestes économes et furtifs", exprimant sur le papier "les sentiments à l'intérieur".
Les personnages secondaires ne sont pas en reste, entre Alexandre Rawcziik le camarade de classe de Coco avec son improbable casquette, et Edouard le prétendant de Joséphine "un peu barré mais sympa". Parfois déjantés, parfois attendrissants, tous nous embarquent dans un récit qui ne laisse pas une seconde de répit (à l'image du principal protagoniste !) avec une qualité d'écriture et un style incisif à souhait.
Mais voilà, le compteur de la vie tourne et Coco assiste malheureux et impuissant au déclin de son empereur... "J'avais honte de grandir, et de ne plus nous sentir invincibles, mon grand-père et moi". La mémoire s'effiloche, le physique aussi et peu à peu s'étend "cette toile d'araignée d'oubli dans laquelle il se débattait". Car il se battra jusqu'au bout le Napoléon, en boxeur émérite qu'il est resté, n'en rendant le texte que plus émouvant : "J'avais l'impression qu'il n'y avait plus que des dernières fois entre Napoléon et moi". Alors tout est fait pour accompagner au mieux le vieil homme, pour "retenir l'évanescence des choses de la vie qui sont en train de disparaître". Les derniers chapitres sont à la fois tristes et poétiques, la scène finale très belle, dont on retiendra cette phrase précieuse : "On n'est jamais loin de ceux qu'on aime, même quand on est séparés".
Patricia Deschamps, février 2018