Dès l'enfance, nous étions entraînés à observer, à regarder, à écouter, si bien que tout événement s'inscrivait dans notre mémoire comme dans une cire vierge.
Amadou Hampâté Bâ relate ses jeunes années dans la boucle du Niger, au Mali. Dans ce récit de formation, les jeux dans le fleuve et les joies des amourettes côtoient la mort du grand frère et les blessures de l’exil. À ces souvenirs intimes se mêlent aussi ceux de l’Histoire, de la fondation de l’Empire peul du Macina à la colonisation et à la Première Guerre mondiale.
(4e de couverture)
Mon avis :
Une autobiographie aux allures de conte africain.
Que de personnages et de ramifications dans les mémoires d'Amadou Hampâté Bâ! On s'y perd un peu, même si dans cette édition scolaire, des passages ont été coupés et résumés. Tout commence avec la guerre opposant le peuple peul aux Toucouleurs: le grand-père maternel de l'auteur est lié au chef de l'un et son père sera "un réchappé par miracle du massacre" de l'autre, ce qui lui confère un "double héritage" culturel. Amadou raconte longuement l'histoire de sa mère Kadidja, femme qu'il admire et dont les aventures semblent à peine croyables, d'autant qu'elles se mêlent aux croyances ancestrales (esprits, prémonitions, signes divins). Pendant toute cette première partie, j'ai eu l'impression d'être plongée dans l'un des récits des Mille et une nuits.
Ce n'est qu'au bout de soixante-dix pages qu'Amadou parle enfin de lui. Il raconte son quotidien d'enfant africain entre ses deux familles (sa mère, veuve, s'est remariée), sa conversion à l'islam à l'âge de 7 ans, son entrée à l'école coranique où il s'exerce à la "technique de mémorisation auditive" avec les textes sacrés. Toute aussi déterminante est sa découverte des conteurs peuls et de leurs récits initiatiques "que je publierai plus tard, et qui, sous des dehors plaisants et récréatifs, recèlent des enseignements profonds".
La description de sa "première vraie rencontre avec un Blanc-Blanc", est drôle de naïveté. Très vite, le jeune Amadou comprend l'importance d'aller à l'école des Blancs "pour apprendre à lire, à écrire et à parler le français qui est une langue de chef"! On le voit d'ailleurs s'engager volontiers à la tête d'associations d'écoliers. Et quand "le bruit de la Première Guerre mondiale se répand dans les colonies", il sera recruté pour la distribution des lettres des tirailleurs et comme écrivain public.
Il est intéressant de voir que pour les autochtones, la fin de la Grande Guerre marque "la chute de l'homme blanc en tant qu'être invincible et sans défauts" et que naît alors un esprit d'émancipation et de revendication dont le parcours d'Amadou Hampâté Bâ est une belle représentation.
Celui-ci continuera naturellement des études de plus en plus hautes et éloignées des siens, mais c'est pour mieux faire connaître son pays et ses traditions. J'ai trouvé très émouvante la dernière scène, celle des adieux à sa mère avant de partir "vers la grande aventure de ma vie d'homme" (que l'on peut découvrir dans la suite, Oui mon commandant!).
Patricia Deschamps, février 2023
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