A corps parfait

roman de Vinciane MOESCHLER

Dans le miroir, je me trouve moche.
Moche, grosse, boudinée.
Mal aimée.

Le Muscadier, 2020, 222 p. (Rester vivant)
Le Muscadier, 2020, 222 p. (Rester vivant)

Anton aime Audrey et voudrait la sauver de l’anorexie qui la guette. Ils vivent dans le même quartier de Belleville, mais dans deux univers différents. Le père d’Anton conduit le métro. La mère d’Audrey est reporter pour le journal télévisé. Au fil des haïkus rédigés par la jeune fille, se tisse l’histoire improbable d’un garçon de 16 ans et demi en difficulté scolaire et d’une brillante élève en mal d’identité. Surpasseront-ils leurs différences ?

 

(4e de couverture)

Mon avis :

Coup de cœur pour ce roman à deux voix sur l'anorexie, à l'écriture addictive.

Audrey et Anton viennent de deux milieux opposés ("Nous ne sommes pas du même monde"). Elle a "une famille modèle", bons jobs, intérieur design, vie aisée; lui vit dans un quartier populaire et défavorisé. Pourtant c'est elle qui a des troubles alimentaires.

 

"Moche, grosse, boudinée", voilà comment se perçoit Audrey. Anton la considère au contraire comme une "fille parfaite, sublime", "la plus belle fille du lycée". Mais à force de picorer dans son assiette, de traquer les calories, de vomir après son frugal repas, de se dégoûter de la nourriture au point de ne plus rien pouvoir avaler, l'adolescente devient "squelettique", "décharnée" (39 kg pour 1m70!..). Anton et Manon, la meilleure amie d'Audrey, décident alors "d'agir ensemble".

 

"Et ses parents, qu'est-ce qu'ils foutent? Sont où, ces deux-là?". C'est bien là le problème: M. et Mme Lescault sont constamment absents, confiant Audrey et son frère à leur grand-mère -mais interdiction de fréquenter papy, ce que la jeune fille n'a jamais compris. "Jolie petite famille, jolie petite fortune, jolie petite fille sage. Que des mensonges". Audrey voudrait des parents comme ceux d'Anton: présents, attentionnés, même si, chez eux aussi, "il y a des failles". La mère d'Audrey, célèbre journaliste télé, lui manque, "comme à chaque fois quand elle part" sur le terrain. Et lorsqu'elle est à la maison, personne ne prend le temps de se parler ("Je l'aurais aimée plus câline"), "chacun est dans sa bulle et s'ignore".

 

Accepter son corps, c'est également le problème de Moka, meilleur ami d'Anton. Depuis tout petit, Moka adore s'habiller en fille. Parfois au lycée, il porte des tenues excentriques et du maquillage (on pense au personnage d'Eric dans la série "Sex education"), ce qui lui vaut remarques et moqueries. Il faut dire qu'avec sa "carrure de basketteur", le résultat détonne! Avec le soutien d'Anton, il osera enfin l'assumer. De même, Audrey devra affronter sa mère, lui parler, enfin, de cette distance qu'elle maintient entre elles, de ces mots qui ne sont jamais prononcés ("J'ai dû aller te chercher là où ça fait mal"). Une fois le secret de famille révélé, et grâce à ceux·celles qui l'aiment ("Maman est à mes côtés"), Audrey trouvera la force d'avancer ("Guérir, c'est accepter de perdre quelque chose et de grandir").

 

Patricia Deschamps, février 2024


Retrouvez Takalirsa sur Facebook, Babelio, Instagram  Youtube, Twitter et Tik Tok

Making of d'une chronique