Sur les pièces de monnaie, sur les timbres, sur les livres, sur les bannières, sur les affiches, sur les paquets de cigarettes, partout ! Toujours ces yeux qui vous observaient, cette voix qui vous enveloppait.
Londres, 1984. Un régime totalitaire a été instauré. La population est surveillée 24h/24, la liberté d'expression et la liberté de penser sont étouffées. Les hommes et les femmes doivent se soumettre sans restriction au gouvernement représenté par l'image de Big Brother, omniprésente que ce soit sous formes d'affiches dans la rue ( « Big Brother vous regarde ») ou bien via les « télécrans » qui abreuvent la population de propagande.
Winston Smith est employé au ministère de la Vérité, son travail consiste à retoucher les archives historiques afin qu'elles correspondent à la vérité voulue par le gouvernement. Cependant Winston n'est pas dupe et rédige secrètement un journal décrivant son quotidien sous le régime de Big Brother.
Mais un jour sur son lieu de travail, une jeune femme nommée Julia lui glisse discrètement dans la main un papier où est écrit « Je vous aime ». Dans cette société où les rapports humains sont réduits au strict minimum et où l'amour est quasiment interdit, Julia et Winston vont prendre le risque de se rapprocher l'un de l'autre. Mais Big Brother veille…
L'avis de Fabien, bibliothécaire :
Clairement inspiré par la peur du communisme et le système soviétique, George Orwell se montrait pour le moins pessimiste. Si heureusement ses prédictions ne se sont pas (encore?) réalisées, 1984 (paru en 1949) reste un roman terrifiant.
La première partie du livre décrivant le quotidien des hommes sous le régime totalitaire est très prenant mais aussi très étouffant. Les « télécrans » qui surveillent les hommes et les femmes en permanence jusqu'à leur domicile, la falsification des documents historiques, la peur constante de la Police de la Pensée… et le personnage de Winston Smith à la fois rebelle et sans illusion, laissent une impression de désespoir pesant qui peut rebuter de prime abord, mais force est de reconnaître qu'on se trouve vite happé malgré l'austérité du sujet.
A partir de la rencontre avec Julia l'atmosphère devient un peu plus respirable et l'histoire d'amour qui se dessine est d'autant plus forte qu'elle doit rester clandestine et le récit avance alors rapidement vers un final inoubliable. Ce «futur» sinistre envisagé ne semble pas si impossible et l'on peut trouver bien des correspondances avec notre monde actuel, ce qui fait que le roman n 'a pas du tout vieilli. En fait je l'avais déjà lu il y a quelques années mais il fait partie de ces romans qu'on peut lire et relire en y trouvant quelque chose de nouveau à chaque fois. Difficile par exemple de ne pas penser à Big Brother quand nos faits et gestes, nos habitudes d'achat, nos centres d'intérêt sont enregistrés sur Internet sans même parler des réseaux sociaux.
Un de ces romans qui marquent une vie de lecteur. Et une vie tout court.
Janvier 2016
Mon avis :
Il y a des classiques qu'on lit trop jeune. J'ai lu celui-ci trop tard. J'en ai tellement entendu parler que les théories Big Brother ont quelque peu perdu de leur saveur...
La première partie déploie tout ce que la dictature en place impose au peuple. On y reconnaît toutes sortes d'éléments empruntés à celles qui ont réellement existé : les expressions « camarade » et « Parti » évoquent le communisme, tout comme le principe de communauté de biens ; les réfractaires se font « vaporiser » (gazer ?) à la méthode nazie, ceux qui ont connu l'avant Révolution sont victimes «d'épuration», le méchant ennemi de BB, Goldstein, est un Juif, et les enfants sont même embrigadés dès leur plus jeune âge façon « Hitlerjugend ». Dans le même ordre d'idée, la Fraternité rappelle le mouvement de Résistance. Publié en 1949, on sent que ce roman est profondément influencé par la Seconde Guerre et ses conséquences. Le récit se déroule d'ailleurs sur fond de guerre, contre l'Eurasia, ou l'Estasia, on ne sait plus, l'ennemi change constamment, selon les caprices des dirigeants. Une guerre perpétuelle, en tout cas, pour mieux assouvir le peuple. Outre la surveillance constante des individus via télécrans (imaginez un jeu de télé-réalité sans consentement du participant, et à vie...), le Parti met en place une vaste falsification d'informations, et même de faits historiques afin que la réalité se conforme aux idées imposées, et surtout, qu'il n'y ait plus aucun moyen de faire émerger la Vérité. Et c'est bien ça qui perturbe le plus Winston : la perte de la mémoire collective. Pas moyen de « tirer les leçons du passé ». Plus aucun modèle sociétal antérieur auquel se référer, auquel comparer le système actuel... Car il en est persuadé : « C'était mieux avant»! Et surtout une société est sensée évoluer, au moins d'un point de vue scientifique et technique... Au contraire, tout est fait à Océania pour étouffer la réflexion (et donc la rébellion), comme en témoigne la « novlangue », appauvrissement de la langue française qui va de paire avec celui de la pensée (les opinions personnelles sont bien entendu malvenues). Heureusement il y a les « Deux Minutes de la Haine » pour évacuer colère et ressentiment, telle une catharsis contrôlée... C'est glauque, oppressant, effrayant.
Changement d'atmosphère dans la deuxième partie: Winston entame une relation avec Julia. Dans ce monde où toute émotion, sentiment, désir, est interdit, « leur embrassement est un acte politique »... et donc dangereux. Il faut ruser pour se retrouver. Mais qu'importe : Winston est transformé par l'amour. Pourtant, on sent bien que ces deux-là ne sont pas sur la même longueur d'onde. Julia, qui vit dans le présent, dans l'instant, joue un double-jeu : elle applique les règles du Parti pour mieux les détourner à titre personnel. Winston, moins égocentrique, plus idéaliste, vise un changement en profondeur: c'est parce qu'il se projette dans l'avenir qu'il cherche à raviver le passé, le passé sur lequel se construit toute civilisation. N'at-il pas entamé un journal pour cette raison: informer « les gens qui n'étaient pas nés » ? Mais Winston n'arrive pas véritablement à partager ses angoisses avec Julia. Celles liées au Parti, et aussi celles liées aux atroces conséquences qui les attendent s'ils sont démasqués. Julia évince les conversations trop intellectuelles, s'endort à la lecture du livre de Goldstein qui passionne tant Winston. Ceci dit, on la comprend, les larges extraits du bouquin plombent littéralement le récit !
La dernière partie, tout simplement horrible, est un condensé de folie et de souffrance. Toutes les craintes exprimées par Winston depuis le début du roman prennent corps. Une fois de plus, on pense au nazisme, à son pouvoir d'extermination – dans tous les sens du terme. On prend conscience, aussi, de l'état d'esprit de l'auteur alors qu'il écrivait cette œuvre, atteint de tuberculose : luttant contre la mort, tout comme son personnage lutte contre l'anéantissement de l'esprit – de son humanité ?
Quoi qu'il en soit, malgré les réserves que j'ai pu émettre, ce roman m'aura fait prendre conscience, ou tout au moins rappelé, combien j'ai de la chance de vivre en toute(s) liberté(s)..
Patricia Deschamps, mai 2016